En février dernier, la nouvelle directive européenne relative à l’expérimentation animale était retranscrite dans le droit français. Deux mois plus tard, des activistes s’enfermaient dans une animalerie de l’université de Milan en Italie afin de brouiller les expériences en cours et libérer souris et lapins. Utilisés de manière intensive en recherche biomédicale, il est nécessaire de se poser régulièrement la question de la légitimité d’expérimenter sur les animaux. Où en est-on aujourd’hui ? Petite mise à jour.
[Cet article a été initialement publié le 2 octobre 2013.]
Une souris de laboratoire (Rick Eh/Flickr/CC)
Les premières traces d’expérimentation animale remontent au IVème siècle avant notre ère. Aristote se servait alors des animaux pour mieux comprendre la physiologie de l’être humain, en se basant sur une approche comparative (animal à enfant à adulte). Mais le grand boom n’a lieu qu’à la Renaissance. De Vinci dissèque, Harvey « vivissèque » et Descartes fait du Descartes : il conceptualise l’animal-machine (sans âme) en même temps que l’Homme-machine (avec âme) dans son Discours de la Méthode (1637). Avec ou sans âme, l’animal et l’être humain sont bel et bien des horloges complexes, dont l’étude d’une pièce ou d’un rouage est indissociable du tout. La dissection ne suffit plus à comprendre le vivant, il faut étudier l’organisme dans son entier. En 1865, Claude Bernard défend l’utilisation des animaux à des fins de recherche dans son « Introduction à l'étude de la médecine expérimentale ».
« S'il fallait tenir compte des services rendus à la science, la grenouille occuperait la première place. »
L’animal de laboratoire, cet être sensible
Ce n’est qu’au XIX siècle, assez tardivement en fin de compte, que les premières voix s’élèvent pour défendre les intérêts des animaux : création de la SPA en 1845 et adoption de la loi-Gramont-relative-aux-mauvais-traitements-sur-les-animaux-domestiques en 1850 (loi qui en réalité cherche plus à protéger l’Homme de la vue désagréable d’un animal en souffrance que l’animal en question, mais passons). Le combat pour la protection des animaux commence enfin. Il faut cependant attendre les deux guerres mondiales et leur lot d’atrocités pour que soient véritablement encadrées les procédures d’expérimentation animale. On déclare l’animal « être sensible » – n’en déplaise à Descartes – et les décrets se succèdent.
Les associations de défense des animaux se développent et deviennent de véritables lobbies. Elles surfent sur l’empathie liée à ce délicat sujet auquel chacun est sensible. En effet, avec 63 millions d’animaux de compagnie pour 65,5 millions d’habitants, la France est championne d’Europe : près d’un foyer sur deux possède au moins un animal de compagnie1. Néanmoins, la plupart des associations de protection des animaux sont ouvertes au dialogue et comprennent la nécessité de ces expériences ; elles cherchent donc plus à limiter et à mieux encadrer les expérimentations sur les animaux qu’à les interdire. Cette position modérée est compréhensible dans la mesure où, selon un sondage datant de 2007, 56% des français sont favorables à l’expérimentation animale si celle-ci est menée dans un projet à vocation thérapeutique, une proportion qui s’élève à plus de 70% si la recherche concerne des maladies graves2.
Remplacer, Réduire, Raffiner
Les considérations éthiques portées par les associations de défense des animaux ont été concrétisées en France avec la mise en place de comités d’éthique au niveau régional et, en 2005, la création du Comité national de réflexion éthique sur l'expérimentation animale (CNREEA). Ce comité associe représentants de l’Etat, experts scientifiques et membres des associations de protection des animaux qui ont élaboré ensemble une « charte nationale relative à l’éthique en expérimentation animale ».
Les comités d’éthique ont un rôle d’évaluation et de conseil : ils aident les concepteurs des projets à revoir leur copie en tenant compte de principes éthiques pour la plupart basés sur un concept édicté par William Russell et Rex Burch en 1959 : la règle des 3R (qui, contrairement à leurs auteurs, n’ont pas pris une ride).
- - Remplacer les modèles animaux par des modèles alternatifs lorsque cela est possible.
- Réduire le nombre d’animaux utilisés en expérimentation, afin d’éviter de faire souffrir ou de sacrifier inutilement un trop grand nombre d’animaux.
- Raffiner la méthodologie utilisée, à la fois en utilisant des méthodes peu invasives et en définissant des « points limites » au delà desquels il est nécessaire de mettre fin à l’expérimentation, ce afin d’éviter des souffrances inutiles.
Que dit la nouvelle directive ?
En février 2013, la nouvelle directive européenne 2010/63 relative à l’expérimentation animale a été retranscrite dans le droit français (soit 3 ans plus tard, mais c’est toujours mieux que nos voisins d’outre-Rhin). Elle remplace l’ancienne directive 86/609 adoptée en 1986 et qui commençait donc à être quelque peu dépassée (hum).
Si la directive confirme en préambule que « l’utilisation d’animaux vivants demeure nécessaire pour protéger la santé humaine et animale ainsi que l’environnement », elle reconnaît qu’il est « nécessaire d’améliorer le bien-être des animaux utilisés dans des procédures scientifiques » et d’harmoniser les normes au niveau européen pour faciliter les échanges entre laboratoires.
Elle stipule aussi que les projets doivent avoir une finalité d’enseignement ou de recherche fondamentale, thérapeutique ou environnementale. Sont de facto exclus définitivement l’utilisation d’animaux pour des tests de produits cosmétiques. La règle des 3R est inscrite noir sur blanc dans la loi : elle doit être prise en compte et appliquée de manière systématique.
En France, tous les projets sont dorénavant soumis à l’approbation du Ministère de la Recherche, après avis favorable du comité d’éthique (on apprendra au passage que l’évaluation des projets par le comité d’éthique était auparavant simplement basée sur le volontariat, une drôle de manière de faire respecter des règles de bonne conduite). Et comme la transparence est à la mode ces temps-ci, un résumé non technique de chaque projet sera publié sur le site du Ministère de la Recherche à destination du grand public.
De toutes les matières, c’est la ouate qu’elles préfèrent
Le bien-être de nos petites bêtes à poils (ou à plumes) n’est pas en reste : leur habitat en laboratoire doit désormais être enrichi, c’est-à-dire qu’il doit présenter « une complexité adéquate pour leur permettre d’exprimer un large répertoire de comportements normaux ». En effet, de nombreuses études ont montré l’impact saisissant que peut avoir l’environnement de l’animal sur le développement de son système nerveux et son comportement social (par exemple ici, ici et ici). Concrètement, dans une cage de rongeur, il peut s’agir d’un peu d’ouate pour le nid, d’un abri pour se cacher, de jeux ou tout simplement de quoi se faire les dents.
La réduction du « stress » est également à l’ordre du jour. Limiter les manipulations à l’indispensable, surveiller les comportements agressifs, élever les animaux au contact de leurs congénères autant que possible : tel est le lot de tout scientifique amené à travailler en animalerie.
Vers la fin des animaux de laboratoire ?
Enfin, et c’est là une grande première, la nouvelle directive s’inscrit dans un objectif à long terme de « remplacement total des procédures appliquées à des animaux vivants […] dès que ce sera possible sur un plan scientifique ». Un message qui sonne le glas de l’expérimentation animale.
Alors, simple geste d’apaisement à destination des associations de protection des animaux ou véritable volonté politique ? En réalité, tout est dans la dernière partie de la phrase. Sur un plan scientifique, il est aujourd’hui inenvisageable de se passer des expériences menées sur des animaux vivants, ne serait-ce que pour tester de nouveaux traitements ou étudier les pathologies liées au développement. En particulier, la compréhension de certaines affections complexes, comme les cancers ou les maladies neurodégénératives, n’est possible qu’au travers de modèles animaux reproduisant ces pathologies. Couplée au développement de nouvelles stratégies de mutagenèse simplifiant les techniques d’expérimentation, la disparition de l’expérimentation animale n’est certainement pas pour demain.
- 1. Source : Enquête FACCO 2012
- 2. Sondage réalisé par l’agence Beaufixe et l’Institut LH2 pour le GIRCOR les 27 et 28 décembre 2007 par téléphone auprès d’un échantillon de 1003 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus (représentativité assurée par la méthode des quotas)
- 3. Source : rapport parlementaire A. Lejeune et JF Touraine d’après GIRCOR et CNRS
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Comments
Le "mal nécessaire"..comme si le mal pouvait l 'être !! A défaut de posséder un sens moral qui vous ferait "penser" qu'on a pas le droit de donner la souffrance à quelqu'un pour l 'enlever à quelqu'un d' autre, il est désormais avéré que le modèle animal n 'est en aucune façon fiable pour l'homme, et de plus en plus de scientifiques s' accordent à le dire..Alors citer quelques prix Nobel ne peut en aucun cas être un argument d' excellence 8 Ah oui, j'oubliais, souhaiter n' être jamais le mal nécessaire de quelqu'un..